ENVOLÉES
***********
LA MUSE VEILLE ENCORE
Il
a pourtant fallu des milliards d'années,
L'élan
mystérieux d'un geste continu
Les
remous abyssaux d'infimes destinées
Pour
que monte la vie. Or le premier venu
Comme
un événement considère la sienne.
Ainsi
la jugeons-nous lorsque notre regard,
Trop
oublieux du monde, en fait un être à part
Dont
l'intime horizon est clos, quoiqu'il advienne.
Le paradoxe est là. Chacun se voit distinct
Le paradoxe est là. Chacun se voit distinct
Mais
ne peut subsister sans rester dans le nombre,
Notre
influx, âme et corps, intelligence, instinct,
Obéit
aux courants qui l'ont sorti de l'ombre.
Une
œuvre n'a donc pas de véritable auteur,
L'idée
ou le progrès, tirés de la nature,
Plutôt
qu'un homme seul montrent une culture,
Préalable
absolu de l'acte créateur.
Des
poèmes d'Homère aux versets de la Bible,
De
la roue aux quanta, c'est la société
Qui,
source inépuisable, ardeur incoercible,
Exprime
son génie et sa fécondité.
Savoirs
inaperçus, tentatives diffuses
Mûrissent
lentement dans chaque groupe humain
Pour
former un terreau, patrimoine commun;
Les
poètes d'antan l'attribuaient aux muses.
Ils
célébraient ainsi le souffle merveilleux
Que
peut seule exhaler une âme collective
Mais
la nôtre, exposée aux dénis orgueilleux.
S'affaiblit
doucement. Périlleuse dérive !
Car
son rôle, garant de la force et du droit,
Est
de légitimer un fragile équilibre
Entre
le bien public et l'existence libre,
Au détriment de l'un lorsque l'autre s'accroît.
Au détriment de l'un lorsque l'autre s'accroît.
La
Cité gouvernait un monde à sa mesure
Où
l'humble était tenu sous le joug des puissants
Où
l'ordre, néanmoins, s'imposait sans fracture,
Trop
habile à régner sur des cœurs innocents.
Des
siècles de malheur, d'excès, d'outrecuidance
Ont
ouvert les esprits, dénoncé les tyrans,
Des
foules en liesse ont brisé leurs carcans
Fondé
la république, éveillé l'espérance.
Suivant
Rousseau, pour qui notre fond naturel
Nous
inclinait au bien, à la fraternité
Le
citoyen s'est fait le chantre universel
D'un
pacte égalitaire et de la liberté.
Idéaux
cultivés de mémoire éternelle,
Heureux
penchants prêtés à des peuples éteints,
Ces
principes abstraits, rêves jamais atteints,
Arboraient
les couleurs d'une aurore nouvelle.
Ô
Lumières ! Pourtant ces articles de foi,
Modèles
malmenés par l'inconstance humaine,
Tenus
pour droits acquis, cantonnés dans la loi,
Ne
sont plus que poncifs d'une règle incertaine.
ls
ont perdu leur sens quand chaque individu
Plutôt
qu'une leçon en tire une promesse
Assignant
pour devoir à ceux de son espèce
De
l'assister. Pervers est ce malentendu.
L'égotisme
attend trop du monde, il se ressasse
Et
suscite un mal-être, il borne la raison
Nous
menaçant ainsi d'une nouvelle impasse
Mais
la vie eut toujours un lointain horizon.
Elle
a conquis le globe, ouvert la conscience,
L'a
confiée ensuite à la grâce de Dieu
Puis,
l'homme devenu seul maître en son milieu,
Pour
le rendre meilleur, elle innove, elle avance.
Au
moment où le doute égare les esprits,
Où
la complexité du monde les domine,
À
l'usage de tous, ignorants, érudits,
Un
réseau rassembleur est né d'une machine.
Internet
n'est-il pas l'admirable instrument
Qui
s'offre au renouveau d'une âme collective... ?
La
muse veille encore, image intempestive
Que
la vie interprète et renvoie autrement.
***
L'ABSOLU
La
réalité court, innove, se démène,
Sa
transe attise en nous l'angoisse quotidienne
De
l'existence et de ses choix
Mais,
loin de s'incliner devant cette infortune,
L'homme,
pour s'affranchir de la règle commune,
L'assortit
de ses propres lois.
Son
rêve de forcer le joug de la nature
Appelait
le soutien de quelque valeur sûre :
Il
a découvert l'absolu
Sans
démêler vraiment si le Bien, la Justice
Sont
pures entités ou vains feux d'artifice,
Dilemme
jamais résolu.
La
Vérité, le Beau, l'Amour qui nous féconde,
Tant
d'autres idéaux reconnus dans le monde
Galvanisent
pourtant les cœurs,
Immuables
flambeaux de doctrines adverses
Mais
enjeux contrefaits de querelles perverses
Ou
d'affrontements sans vainqueurs.
«
Que l'homme trouve en lui l'extase qui l'inspire,
Qu'elle
éveille sa foi, l'apaise ou le déchire
Atteste
sa réalité »,
Raisonnement
repris avec intelligence
Par
l'église au sujet de Dieu, de sa présence,
De
sa totale primauté.
Or
elle a fait son temps, cette antienne abstraite,
Où
l'esprit, pour s'enfuir d'une vie imparfaite,
Transcendait
l'univers banal.
Il
folâtre toujours, humeur aventurière,
Mais,
sans honte aujourd'hui, s'allie à la matière,
Fruits
d'un même élan sidéral.
Car
l'absolu n'est plus -flamme, idée ou modèle -
La
figure hautaine, infaillible, éternelle,
Destinée
à nous éblouir.
C'est
le terme visé, peut-être le présage,
D'un
accomplissement, un vœu qui se propage,
Une
faim de s'épanouir.
Ses
apôtres le font guide, arbitre et refuge,
L'agnostique
le dit mirage ou subterfuge,
Il
est partout sans être là.
Puissance
en devenir, salut de notre espèce
Ou
néant, il n'est donc, espérance ou détresse,
Rien
encore mais tout cela.
***
FAVEUR
CÉLESTE
La
vie... un rêve ? Non. Une réalité
Dont
nous portons seuls en nous-mêmes
Le
charme, les maux, les problèmes
Et
la magie. Ailleurs, tout est simplicité.
Elle
accommode au sein de chaque créature
Son
œuvre d'âmes et de chairs,
Puisant
aux feux de l'Univers
Les
mille ingrédients qu'exige sa nature.
Fugitif
est son cours, précaires ses effets,
N'importe
! L'homme s'en dégage
Qui,
pour la dépasser, surnage
Dans
l'absolu, haut lieu des sublimes bienfaits.
Mais
il ressent aussi l'horreur d'une existence
Dont
les épreuves et les deuils
Ramènent
les plus fiers orgueils
Aux
lucides constats de notre conscience.
Si
nous ne sommes rien, de grâce oublions-nous!
Émerveillés
par tout le reste,
Goûtons
cette faveur céleste,
Comblés
par ses trésors, endurons ses verrous.
***
CONTRE LE DÉSARROI
La
chance d'être là parmi tant de merveilles
Enivre
le rêveur, hôte du firmament,
Chantre
voluptueux de grâces nonpareilles
Que
la réalité passagère dément :
Le
tumulte incessant qu'entretient la nature
Communique
sa fièvre à chaque créature
Et,
pour le genre humain, la vie est un combat ;
Il
aspire à la paix, son instinct est de mordre,
Entiché
d'idéal, il sème le désordre,
S'égare...
tout en lui ramène à ce constat.
La
colère corrompt nos affaires publiques
Quand
des salves d'emphase et d'animosité,
Sous
les feux de la rampe et le flot des critiques,
Déferlent
au mépris de toute dignité
Ou
quand la haine, avec les abus, l'incurie,
Le
sectarisme étroit et la forfanterie
Rampe
sous le couvert de propos vertueux.
Alors
que nos valeurs brillent sans équivoque,
Offertes
à l'esprit d'une nouvelle époque,
S'étale
devant nous un gâchis monstrueux.
Nul
ne peut s'affranchir du climat délétère
Qu'endure
avec dépit tout citoyen sensé
Mais,
las de ressasser ce qui nous désespère,
Effleurons
d'un regard les ombres du passé.
Fantômes
! Nous savons vos noires injustices,
Au
point d'être à présent devenus vos complices :
Engeances
de la Terre, assassins et tyrans
Loin
d'être éradiqués se font encore craindre;
Pire,
notre âge ingrat gaspille sans les plaindre
Les
fruits que nous devons aux malheurs d'autres temps.
Plutôt
que s'attarder aux crimes de l'Histoire,
Face
à nos démêlés, aux maux contemporains
Tentons
de mieux agir, c'est le seul exutoire,
L'espoir
vivifiant de nos cœurs incertains.
Plus
saine est la pensée aux larges perspectives
Qui
nous montre en dépit des tares et dérives,
Que
l'homme se construit et que rien ne le vaut
Tant
ses rudes efforts, sa quête sans égale
Ont
créé de progrès, tant même sa morale,
Obstinément,
l'exhorte à regarder plus haut.
Les
affres du présent voilent une lumière
Qui
tire ses bienfaits de drames d'autrefois
Et
de choix novateurs liés à la misère
D'ancêtres
démunis, de peuplades sans droits.
Quoique
mieux protégés et mieux pourvus, nous sommes
Inassouvis
comme eux, c'est à dire des hommes
Conçus
dans les tourments d'une éternelle foi.
L'ivresse
du rêveur et celle de la sève,
L'Univers
et son flot qui gronde mais s'élève
L'ont
toujours emporté contre le désarroi.
***
COURSE
À l'IDÉAL
Vivre
! Vivre l'instant, goûter sa plénitude,
Habiter
son bonheur, son rire, son effroi,
S'immerger
dans sa fièvre ou sa béatitude...
C'est
réduire le Monde à l'image de soi.
Tel
est pourtant le sort qu'assigne la nature
À
notre conscience ouverte à tous les vents
Mais
étroite non moins qu'une autre créature,
Monade
prise aux fers de l'espace et du temps.
Ce
qu'elle peut savoir n'est qu'une part infime
De
la diversité des choses et des jours,
Ses
actes les plus forts dans ce branle sublime
Ne
rayonnent jamais qu'aux proches alentours.
Inassouvissement,
ignorance, impuissance
L'angoissent
comme un manque, avatars du néant
Et
l'égarent. Tournis, vertige de l'absence
L'engloutissent
enfin dans un oubli béant.
L'instant
qu'elle a vécu n'était qu'une étincelle,
Éphémère
bouffée. À l'abîme appartient
Une
réalité plus profonde et plus belle,
Une
flamme qui dure et monte et se souvient.
C'est
l'ordre en mouvement, c'est la marche du Monde,
Un
labeur incessant, un besoin assidu
De
tendre à l'idéal que sa Geste féconde
Et
couve dans le cœur de chaque individu.
Conscience
isolée, âme encore assoupie,
Premiers
balbutiements d'un effort incertain,
L'éveil
émerveillé caresse une utopie
Trop
lointaine pour lui qu'enferme le destin.
Les
feux qu'il a cru voir d'une espérance innée
Ne
sont que les reflets dans son regard d'enfant
D'une
vague lueur dont la course obstinée
Aspire
au vif éclat d'un soleil triomphant.