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ENVOLÉES
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LA MUSE VEILLE ENCORE


Il a pourtant fallu des milliards d'années,
L'élan mystérieux d'un geste continu
Les remous abyssaux d'infimes destinées
Pour que monte la vie. Or le premier venu
Comme un événement considère la sienne.
Ainsi la jugeons-nous lorsque notre regard,
Trop oublieux du monde, en fait un être à part
Dont l'intime horizon est clos, quoiqu'il advienne.

Le paradoxe est là. Chacun se voit distinct
Mais ne peut subsister sans rester dans le nombre,
Notre influx, âme et corps, intelligence, instinct,
Obéit aux courants qui l'ont sorti de l'ombre.
Une œuvre n'a donc pas de véritable auteur,
L'idée ou le progrès, tirés de la nature,
Plutôt qu'un homme seul montrent une culture,
Préalable absolu de l'acte créateur.

Des poèmes d'Homère aux versets de la Bible,
De la roue aux quanta, c'est la société
Qui, source inépuisable, ardeur incoercible,
Exprime son génie et sa fécondité.
Savoirs inaperçus, tentatives diffuses
Mûrissent lentement dans chaque groupe humain
Pour former un terreau, patrimoine commun;
Les poètes d'antan l'attribuaient aux muses.

Ils célébraient ainsi le souffle merveilleux
Que peut seule exhaler une âme collective
Mais la nôtre, exposée aux dénis orgueilleux.
S'affaiblit doucement. Périlleuse dérive !
Car son rôle, garant de la force et du droit,
Est de légitimer un fragile équilibre
Entre le bien public et l'existence libre,
Au détriment de l'un lorsque l'autre s'accroît.

La Cité gouvernait un monde à sa mesure
Où l'humble était tenu sous le joug des puissants
Où l'ordre, néanmoins, s'imposait sans fracture,
Trop habile à régner sur des cœurs innocents.
Des siècles de malheur, d'excès, d'outrecuidance
Ont ouvert les esprits, dénoncé les tyrans,
Des foules en liesse ont brisé leurs carcans
Fondé la république, éveillé l'espérance.

Suivant Rousseau, pour qui notre fond naturel
Nous inclinait au bien, à la fraternité
Le citoyen s'est fait le chantre universel
D'un pacte égalitaire et de la liberté.
Idéaux cultivés de mémoire éternelle,
Heureux penchants prêtés à des peuples éteints,
Ces principes abstraits, rêves jamais atteints,
Arboraient les couleurs d'une aurore nouvelle.

Ô Lumières ! Pourtant ces articles de foi,
Modèles malmenés par l'inconstance humaine,
Tenus pour droits acquis, cantonnés dans la loi,
Ne sont plus que poncifs d'une règle incertaine.
ls ont perdu leur sens quand chaque individu
Plutôt qu'une leçon en tire une promesse
Assignant pour devoir à ceux de son espèce
De l'assister. Pervers est ce malentendu.

L'égotisme attend trop du monde, il se ressasse
Et suscite un mal-être, il borne la raison
Nous menaçant ainsi d'une nouvelle impasse
Mais la vie eut toujours un lointain horizon.
Elle a conquis le globe, ouvert la conscience,
L'a confiée ensuite à la grâce de Dieu
Puis, l'homme devenu seul maître en son milieu,
Pour le rendre meilleur, elle innove, elle avance.

Au moment où le doute égare les esprits,
Où la complexité du monde les domine,
À l'usage de tous, ignorants, érudits,
Un réseau rassembleur est né d'une machine.
Internet n'est-il pas l'admirable instrument
Qui s'offre au renouveau d'une âme collective... ?
La muse veille encore, image intempestive
Que la vie interprète et renvoie autrement.

***

L'ABSOLU

La réalité court, innove, se démène,
Sa transe attise en nous l'angoisse quotidienne
De l'existence et de ses choix
Mais, loin de s'incliner devant cette infortune,
L'homme, pour s'affranchir de la règle commune,
L'assortit de ses propres lois.

Son rêve de forcer le joug de la nature
Appelait le soutien de quelque valeur sûre :
Il a découvert l'absolu
Sans démêler vraiment si le Bien, la Justice
Sont pures entités ou vains feux d'artifice,
Dilemme jamais résolu.

La Vérité, le Beau, l'Amour qui nous féconde,
Tant d'autres idéaux reconnus dans le monde
Galvanisent pourtant les cœurs,
Immuables flambeaux de doctrines adverses
Mais enjeux contrefaits de querelles perverses
Ou d'affrontements sans vainqueurs.

« Que l'homme trouve en lui l'extase qui l'inspire,
Qu'elle éveille sa foi, l'apaise ou le déchire
Atteste sa réalité »,
Raisonnement repris avec intelligence
Par l'église au sujet de Dieu, de sa présence,
De sa totale primauté.

Or elle a fait son temps, cette antienne abstraite,
Où l'esprit, pour s'enfuir d'une vie imparfaite,
Transcendait l'univers banal.
Il folâtre toujours, humeur aventurière,
Mais, sans honte aujourd'hui, s'allie à la matière,
Fruits d'un même élan sidéral.

Car l'absolu n'est plus -flamme, idée ou modèle -
La figure hautaine, infaillible, éternelle, 
Destinée à nous éblouir.
C'est le terme visé, peut-être le présage,
D'un accomplissement, un vœu qui se propage,
Une faim de s'épanouir.

Ses apôtres le font guide, arbitre et refuge,
L'agnostique le dit mirage ou subterfuge,
Il est partout sans être là.
Puissance en devenir, salut de notre espèce
Ou néant, il n'est donc, espérance ou détresse,
Rien encore mais tout cela.

***

FAVEUR CÉLESTE

La vie... un rêve ? Non. Une réalité
Dont nous portons seuls en nous-mêmes
Le charme, les maux, les problèmes
Et la magie. Ailleurs, tout est simplicité.

Elle accommode au sein de chaque créature
Son œuvre d'âmes et de chairs,
Puisant aux feux de l'Univers
Les mille ingrédients qu'exige sa nature.

Fugitif est son cours, précaires ses effets,
N'importe ! L'homme s'en dégage
Qui, pour la dépasser, surnage
Dans l'absolu, haut lieu des sublimes bienfaits.

Mais il ressent aussi l'horreur d'une existence
Dont les épreuves et les deuils
Ramènent les plus fiers orgueils
Aux lucides constats de notre conscience.

Si nous ne sommes rien, de grâce oublions-nous!
Émerveillés par tout le reste,
Goûtons cette faveur céleste,
Comblés par ses trésors, endurons ses verrous.

***

CONTRE LE DÉSARROI

La chance d'être là parmi tant de merveilles
Enivre le rêveur, hôte du firmament,
Chantre voluptueux de grâces nonpareilles
Que la réalité passagère dément :
Le tumulte incessant qu'entretient la nature
Communique sa fièvre à chaque créature
Et, pour le genre humain, la vie est un combat ;
Il aspire à la paix, son instinct est de mordre,
Entiché d'idéal, il sème le désordre,
S'égare... tout en lui ramène à ce constat.

La colère corrompt nos affaires publiques
Quand des salves d'emphase et d'animosité,
Sous les feux de la rampe et le flot des critiques,
Déferlent au mépris de toute dignité
Ou quand la haine, avec les abus, l'incurie,
Le sectarisme étroit et la forfanterie
Rampe sous le couvert de propos vertueux.
Alors que nos valeurs brillent sans équivoque,
Offertes à l'esprit d'une nouvelle époque,
S'étale devant nous un gâchis monstrueux.

Nul ne peut s'affranchir du climat délétère
Qu'endure avec dépit tout citoyen sensé
Mais, las de ressasser ce qui nous désespère,
Effleurons d'un regard les ombres du passé.
Fantômes ! Nous savons vos noires injustices,
Au point d'être à présent devenus vos complices :
Engeances de la Terre, assassins et tyrans
Loin d'être éradiqués se font encore craindre;
Pire, notre âge ingrat gaspille sans les plaindre
Les fruits que nous devons aux malheurs d'autres temps.

Plutôt que s'attarder aux crimes de l'Histoire,
Face à nos démêlés, aux maux contemporains
Tentons de mieux agir, c'est le seul exutoire,
L'espoir vivifiant de nos cœurs incertains.
Plus saine est la pensée aux larges perspectives
Qui nous montre en dépit des tares et dérives,
Que l'homme se construit et que rien ne le vaut
Tant ses rudes efforts, sa quête sans égale
Ont créé de progrès, tant même sa morale,
Obstinément, l'exhorte à regarder plus haut.

Les affres du présent voilent une lumière
Qui tire ses bienfaits de drames d'autrefois
Et de choix novateurs liés à la misère
D'ancêtres démunis, de peuplades sans droits.
Quoique mieux protégés et mieux pourvus, nous sommes
Inassouvis comme eux, c'est à dire des hommes
Conçus dans les tourments d'une éternelle foi.
L'ivresse du rêveur et celle de la sève,
L'Univers et son flot qui gronde mais s'élève
L'ont toujours emporté contre le désarroi.

***

COURSE À l'IDÉAL

Vivre ! Vivre l'instant, goûter sa plénitude,
Habiter son bonheur, son rire, son effroi,
S'immerger dans sa fièvre ou sa béatitude...
C'est réduire le Monde à l'image de soi.

Tel est pourtant le sort qu'assigne la nature
À notre conscience ouverte à tous les vents
Mais étroite non moins qu'une autre créature,
Monade prise aux fers de l'espace et du temps.

Ce qu'elle peut savoir n'est qu'une part infime
De la diversité des choses et des jours,
Ses actes les plus forts dans ce branle sublime
Ne rayonnent jamais qu'aux proches alentours.

Inassouvissement, ignorance, impuissance
L'angoissent comme un manque, avatars du néant
Et l'égarent. Tournis, vertige de l'absence
L'engloutissent enfin dans un oubli béant.

L'instant qu'elle a vécu n'était qu'une étincelle,
Éphémère bouffée. À l'abîme appartient
Une réalité plus profonde et plus belle,
Une flamme qui dure et monte et se souvient.

C'est l'ordre en mouvement, c'est la marche du Monde,
Un labeur incessant, un besoin assidu
De tendre à l'idéal que sa Geste féconde
Et couve dans le cœur de chaque individu.

Conscience isolée, âme encore assoupie,
Premiers balbutiements d'un effort incertain,
L'éveil émerveillé caresse une utopie
Trop lointaine pour lui qu'enferme le destin.

Les feux qu'il a cru voir d'une espérance innée
Ne sont que les reflets dans son regard d'enfant
D'une vague lueur dont la course obstinée
Aspire au vif éclat d'un soleil triomphant.

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