ATTENTES
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LE
TRAIN DU MONDE
Aube,
aurore, soleil, lumières du matin,
Le
ciel s'ouvre, le jour avance,
La
nuit a remporté le spectre du destin,
Voici
le rêve et l'espérance.
Leurs
charmes sont trompeurs. Ils enrobent de faux
Notre
existence insaisissable
Pour
occulter le sort, les peines et les maux,
La
vérité qui nous accable.
Refuser
l'évidence, invoquer l'irréel,
C'est
rendre la vie insensée ;
Tout
autre est le génie insigne et naturel
Qui
donne corps à la pensée.
Les
mille et une nuits et leurs tapis volants,
Les
vieux balais de nos sorcières
Ou
les ailes d'Icare, essors mirobolants,
Ont
préfiguré nos croisières.
Qu'une
envie, un besoin hantent l'humanité,
Qu'un
vouloir fabuleux l'obsède
Et
son vœu, tôt ou tard, devient réalité :
Qu'un
désir parle, tout lui cède.
Elle
suit en cela le cours de l'univers,
Un
mouvement que rien ne fige,
Force,
élans créatifs, jaillissements divers
Dont
chaque flamme est un prodige.
Absurdité
? Chaos ? Hasard ? Désordre vain ?
Leur
non-sens n'aurait rien à dire.
La
voix de la nature énonce un long dessein,
Sa
raison jamais ne délire.
Endurons
les fléaux, étranglons nos soupirs,
Le
mal est sans échappatoire
Mais,
malgré nos erreurs et piètres repentirs,
Le
progrès domine l'Histoire !
Son
but est nébuleux, le parcours hésitant,
Pourtant
sa course nous anime
Quant,
au petit matin, dans les feux de l'instant,
La
santé du monde s'exprime.
***
UN
TORRENT NOUS EMPORTE
Toujours
plus ! Toujours plus ! C'est une frénésie,
Une
fringale d'or, de superbe et de vent,
De
pouvoir et de gloire, une fuite en avant
Déguisée
en progrès mais c'est une hérésie,
Une
incongruité sans mesure et sans frein,
Une
conduite aveugle, un obscur engrenage
Qui
s'emparent du monde et risquent son destin.
L'Histoire
nous instruit, qui ne fut jamais sage,
Des
mille et mille excès de princes et de rois,
De
dignitaires nés très au-dessus des lois...
Nous
voyons aujourd'hui les grands du nouvel âge
Plus
attentifs au droit pour mieux le contourner
Ou
pour élaborer celui qui les arrange,
Qu'ils
exigent, leur soif étant de dominer.
Ce
mal est mortifère. Afin que cela change,
Au
lieu de nous en prendre à « l'autre », à nos aïeux,
Regardons-nous,
lisons tout au fond de nos yeux .
Le
gouffre nous renvoie une maxime étrange :
«
Il ne peut à personne infliger de leçon,
Le
sermonnaire qui, détrôné de sa place,
Ne
vaudrait guère mieux que le mauvais garçon ».
Démasqué,
le péril s'étale et nous menace.
Nos
pères ont voulu le vaincre au coup par coup,
Dresser
la guillotine. Il en faudrait beaucoup...
L'hydre,
une tête en moins, aussitôt la remplace !
Du
sol de France au Dniepr, à l'Extrême-Orient
Trop
de sang a coulé pour prix de la vengeance
Et
souille notre siècle encore impatient.
Les
appétits humains étouffent l'innocence ;
L'égoïsme
et l'amour, l'urgence et l'avenir
Que
la seule raison ne saurait départir
S'affrontent
en champ clos dans chaque conscience.
Quant-à-soi,
cri du cœur, intérêt collectif,
Lequel
doit l'emporter ? La réponse est aisée
Pour
qui tranche de haut, le choix impératif.
Cette
approche, pourtant, n'est que billevesée
Face
aux troubles du temps que l'angoisse envahit,
Que
sa débâcle presse et que l'argent trahit.
L'incertitude
ronge une époque blasée.
Ils
se sont émoussés, nos instincts du berceau,
Ceux
d'hommes pleins de vie et d'âme, prêts à suivre
Une
étoile et celui qui portait le flambeau.
Nous
restons dans leurs pas, la course nous enivre
Mais,
avides rêveurs d'un éternel essor,
Goulus,
nous gaspillons dans la chasse au trésor
L'enjeu
du genre humain, ses chances de survivre.
Au
moment décisif d'atteindre un nouveau seuil
Nous
mettons en danger son aventure insigne
Qu'entachent
l'âpreté, l'imposture et l'orgueil.
La
morale est sans voix dans ce désordre indigne,
Sans
force qui s'impose à nos mentalités,
Qui
bride nos écarts et nos absurdités,
Sans
phare pour nous mettre en bonne et droite ligne.
Tout
un monde agité par d'ultimes ressauts
S'efface.
Puisse enfin une flamme nouvelle
Insuffler
plus de sens à des projets plus hauts !
Le
paysage est neuf, il a changé d'échelle.
Espace
ouvert jadis aux hordes et tribus
Puis
à des potentats de conquêtes imbus,
La
Terre est maintenant l'énorme citadelle
Où
s'échangent savoirs, marchandises et mœurs,
Où
plus aucun recoin ne peut rester dans l'ombre,
Où
nul, en voyageant, ne vient vraiment d'ailleurs.
Malmené,
le présent projette un regard sombre
Sur
le suivi des jours et leurs prolongements
Mais
anticipe peu les profonds changements
Qui
grondent dans l'esprit des foules, dans leur nombre.
Feus
la plèbe docile et les peuples épars !
Le
temps s'évanouit des babils de l'enfance,
Des
ilotes courbés sous le joug des césars.
Nous
vivons la langueur de notre adolescence !
Formés
au rythme lent des générations,
Nous
nous sentons porteurs d'autres ambitions,
Dieux
mortels confrontés à l'avenir immense,
À
ses choix douloureux, à son sort incertain
Mais
nous roulons avec le torrent qui nous guide
Qui
dévale, nous lie et reste souverain.
Quoique
l 'homme entravé peu de choses décide,
Féru
de son parcours il peine à concevoir,
Malgré
son évidence, une emprise, un pouvoir
Qui,
pour l'individu, serait liberticide.
Ses
valeurs du passé, leurs fanfares, leurs fruits
L'ont
dépris de la Terre, oublieux qu'elle existe,
Qu'elle
nous a conçus, qu'elle nous a conduits.
La
suite jaillira d'un tournant réaliste
Qui,
rendant la nature à ses normes et lois,
Retrouvera
son cap parmi nos désarrois
Et
fera l'être humain plus universaliste.
Le
succès fleurira quand les vœux de chacun
Mieux
perçus et compris dans une ample synthèse
Formeront
le terreau d'un devenir commun.
Utopie
ou - qui sait ?- prometteuse hypothèse...
Tandis
que nos tribuns rabâchent leurs discours
Le
torrent,sur la toile, imagine son cours.
***
VOX
POPULI, VOX NATURÆ
Quelle
vérité que ces montaignes bornent,
qui
est mensonge au monde qui se tient au-delà ?
(Montaigne,
« Essais », livre II, chapitre XII).
La
vérité se voile, elle est insaisissable,
Fantasme
d'exalté, sphinge de déchiffreur,
Son
image éthérée, opaque, inestimable
Nous
laisse confondus d'ignorance et d'erreur.
Partagée,
une erreur devient une culture
Qui
façonne des mœurs, entretient une foi
Mais
peut aussi forger des fers qui, sans mesure,
Oppriment
les esprits et leur dictent sa loi.
Ainsi
font les tyrans, les régimes sectaires,
Les
clans dominateurs, fléaux de tous les temps
Et
pourtant leurs sermons, leurs actes sanguinaires
N'ont
jamais étouffé la voix des bonnes gens.
Ce
dire naturel est le souffle du monde,
Il
fustige le mal et caresse l'espoir ,
Cri
du cœur imprégné de sagesse profonde
Et
de juste raison, riche d'un long savoir.
Accueillons
ces élans capables d'introduire
Au
pire du chaos leur simple vérité
Qui
proclame la vie au lieu de la détruire :
Le
bon sens est le sel de la réalité.
***
SURSAUT
Conscience
égarée - ô paresse coupable! -,
Présence
à l'abandon que menace la nuit
Alors
qu'à tout moment perle, passe et s'enfuit
Goutte
à goutte le flux d'un monde périssable,
Dormeur,
éveille-toi ! Debout ! Nul ne t'attend
Sinon
toi-même. Lourd d'ignorance et de doute,
Avec
ton seul bâton pour compagnon de route,
Chasse
les préjugés qui dominent l'instant.
Délaisse
les rancœurs, les procès, les excuses,
Les
repentirs pompeux qui ne changeront rien,
Ni
l'histoire oubliée en ce qu'elle a de bien
Ni
l'avenir qui gronde au delà de ces ruses.
Ne
t'aventure pas dans le jeu des partis
Mais
dénonce plutôt leur absurde clivage
Lorsqu'une
vérité proposée en partage
Exacerbe
chez eux discorde et démentis.
Cet
esprit de chicane insulte la pensée :
Exige
pour la tienne un modèle plus fort !
Si
la sérénité préside à son effort
La
quête n'en sera que mieux récompensée.
Explore
l'inconnu, garde-toi des clichés,
Pourtant,
simple maillon d'une insécable chaîne,
N'impute
pas à l'autre, à l'incurie humaine,
Les
parcours tortueux, les sols mal défrichés.
Ne
consens pas que l'homme affiche sa bassesse
En
se montrant féroce, égoïste et pervers
Mais
souviens-toi que, seule à braver l'univers,
Sa
raison le condamne à la pire détresse.
Conscience
native – ô message profond ! -,
Sans
masquer pour autant les fautes et les crimes,
Hisse
ton horizon jusqu'aux plus hautes cimes :
C'est
dans les ors du ciel que les âmes se font.